Kook, aide soignante, est certainement un bon modèle pour le portrait, de rares échanges sur Facebook m’ont fait comprendre que la communication ne sera pas facile, nous sommes tombés d’accord pour un rendez-vous devant le centre commercial de sa ville, Laem Chabang, située à 1h de Bangkok sur la route de Pattaya.
Elle est arrivée avec une amie pour se donner un peu de courage, et pour lui servir de traductrice, la vrai difficulté se dévoile très rapidement: Kook utilisait un traducteur automatique pour dialoguer avec peine sur facebook, à présent mes simples questions comme « How are you ? » ou « Where are we going? » résonnent désespérément devant le gigantesque mall et sont vite englouties dans la tonitruance de la grande route; il est midi, il fait très chaud, elles se dirigent dans la cafeteria frigorifiée de l’hypermarché. Elles me font signe d’aller choisir des plats, son amie ne parle que quelques mots d’Anglais et son aide reste limitée.
Je me demande bien où je vais poser mon sac, sans toutefois m’inquiéter. Une heure plus tard je me retrouve chez elle, une petite pièce dans un immeuble modeste dans une zone bien déserte, la télé est définitivement allumée, elles s’assoient toutes les deux devant, à même le sol. Le souffle du petit ventilateur disperse les longs cheveux de Kook et révèle un visage un peu dessiné comme une statue Bouddhique, du sacré l’habite, l’expression neutre et sérieuse habituellement affichée sur ses autoportraits fait place à de larges sourires, méconnaissable.
Je me demande ce que je suis venu faire ici, Kook me propose finalement d’aller visiter le temple au bout de la rue, rien d’extraordinaire, mais j’aime toujours autant me déchausser pour fouler le sol frais dans cette atmosphère apaisante. A la sortie du temple, elle arrête un moto-taxi et me fait signe de monter, nous voilà à trois sur l’engin, je demande à plusieurs reprises « où allons nous ? », la meilleure réponse sera « nature », je me réjouis à la pensée qu’elle connait un lieu pour poser, prendre quelques photos…
Ok, nous voilà arrivés dans un parc sommairement boisé, ça chauffe sérieux, Kook achète des granulés pour poisson et les distribue dans le petit lac, scène incontournable en Thaïlande. Et là je réalise que c’est une des seules activités du lieu, tout ce qu’elle fait depuis mon arrivée, c’est me montrer son quotidien et son lieu de vie, c’est par bienveillance et pour combler le manque de communication verbale qu’elle essaie de partager tout simplement ce qu’elle a: pas grand chose.
Au beau milieu de ce film muet, je propose quelques poses dans les rares bosquets de ficus du parc, cela ne dure pas bien longtemps et elle passera une heure à parler au téléphone avec son amie restée chez elle. Mais que trafique t-elle ?
Dans le parc , un groupe d’enfants me demande une photo en me donnant un compte Facebook pour l’envoyer, les fleurs de Frangipaniers m’occupent quelques minutes.
Je commence à trouver le temps long et après le 15 ème coup de téléphone, Kook rappelle le moto-taxi et cette fois-ci me dit « hôtel », je dis « My Bag ? », pas de réponse.
Le gars s’arrête devant un hôtel neuf, en bord de nationale, apparemment je n’ai pas trop le choix et je me sens un peu épuisé, l’amie arrive en moto avec mon sac, tout va bien. C’est déjà l’heure de diner, il est 18h, une seconde amie arrive, grande gueule, plus affirmée, et parle un tout petit peu Anglais, depuis quelques heures je suis entré en mode « passif » et je laisse couler, me disant que j’ai de la chance d’être si loin des clichés touristiques.
Nous mangeons en bord de route, à quelques pas de mon hôtel, je les prends en photo pour permettre une autre forme de communication. Je note sur le visage de Kook une tristesse latente, derrière ses sourires, un désespoir chez cette jeune femme, maman d’un petit garçon, élevé par sa mère…faute de moyens, une situation très répandue en Thaïlande, parfois avec 2-3 enfants…
Je lis également sa peur, accompagnée de timidité, elle se sent peut être médiocre, inférieure, la quasi impossibilité de communiquer ne fait qu’amplifier cette impression, heureusement je ne partage pas ce sentiment et je fais tout pour montrer que nous sommes tous les mêmes.
Le Karaoké !
Après le repas, mes trois amies m’accompagnent sur la route jusqu’au niveau de mon hôtel, il n’est même pas 19h, dormir déjà, je pense être tombé à poule land. Je remarque en face une baraque en bois vivement colorée par des guirlandes de diodes, » You want karaoké ? » , « Yes, let’s have a drink there ! » .
J’avoue que je me rappellerai toujours de ce qui suit: mes trois amies se sont vite métamorphosées, Kook en chanteuse et les deux autres n’ont pas hésité à danser à plusieurs reprises, commandant des bouteilles de Léo (bière Thaï) comme si il en pleuvait, je me souviens n’avoir payé que la première. La patronne très guillerette était également de la fête, j’ai été invité à prendre le micro et à chanter suivant les sous-titrages transcrits en lettres latines. Je pousse mon 6D dans ses derniers retranchements, entre 6400 et 25000 iso, le lieu est sombre, il n’y a que nous.
Je venais de mettre les pieds dans un des fameux établissements de prostitution destinés aux Thaïs qui fleurissent dans toutes zones rurales, les banlieues du pays, je l’ai réalisé au moment où des hôtesses et clients s’installèrent aux tables derrière moi. En Thaïlande, la prostitution destinée aux touristes dans les zones rouges de Bangkok, Pattaya et Patong ne représente que 10% du total.
En mettant le nez dehors vers 22h30, la rue a bien changée depuis 19h, il s’agit en fait d’un alignement de baraques à Karaoké ! Et là j’ai croisé des gars bien imbibés, me broyant la main en guise de salut et déblatérant des phrases en Thaï…cependant je n’ai jamais éprouvé la moindre peur, me sentant également bien protégé par mes trois amies.
La situation s’est bien améliorée question communication, à l’arrivée d’un ami qui parlait bien l’Anglais et qui m’a proposé de visiter la région les jours suivants…minuit sonnait…j’étais un peu naze.
Mais le plus extraordinaire, c’est l’apparition dans la rue, devant la baraque, de cette boutique ambulante proposant des chaussures pour femmes ! Et comme l’a écrit si bien mon amie Or, en commentant cette photo: « Nous avons beaucoup de Cendrillons enivrées ici (en Thaïlande), qui laissent tomber leurs chaussures aussi bien que leurs robes partout. hahaha »
Il est minuit trente, je suis vautré dans mon lit, ce n’est finalement pas tard, j’ai quand même le ciboulot qui cogne, elles m’ont laissé et je ne sais absolument pas quel est le programme pour le lendemain, que vais-je faire ? Ont-elle prévu quelque chose ?? Vont elles repasser ? J’ai cru comprendre que oui…
En effet, à 8h, on frappe à la porte, j’ouvre, et les trois demoiselles viennent squatter mon lit, déballant leurs téléphones, faisant comme si de rien n’était et commençant à parler entre elles, me demandant finalement d’aller prendre une douche…
Le mal de tête qui accompagnait mes difficultés à réaliser la situation s’est un peu estompé après cette douche…j’ai finalement inventé un bobard comme quoi j’avais une amie à voir dans la région et que c’était son dernier jour de vacances de Noël, j’ai mis environ 1h30 pour expliquer cette phrase complexe, j’ai cru comprendre qu’elles voulaient m’amener à la plage.
J’ai appelé mon amie May qui n’habite pas très loin et qui tient un coffee shop, enfin…c’est ce que je croyais, car elle avait déménagé bien plus loin depuis l’année dernière! Elles ont vraiment réalisé que je les quittais quand la voiture de May est entrée dans la cour de l’hôtel et c’est là que j’ai été pris de culpabilité, en les laissant comme des tartes, devant l’hôtel, prêtes à une nouvelle journée en ma compagnie, elles qui avaient été si amicales avec moi et qui avaient partagé leur modeste monde avec tant de gentillesse et d’entrain…
Cette petite histoire est la preuve que le langage est la clef de la communication, de la compréhension, quel que soit les efforts gestuels ou expressifs que l’ont peut manifester, et c’est peut être aussi pour cela que j’étais parti pour écrire un article regroupant plusieurs lieux autour de Bangkok, présentant Kook et son karaoké comme une anecdote en quelques lignes et qu’à présent il est devenu un article à lui tout seul…juste pour rattraper le manque de mots, de signifiants et de signifiés de ces quelques heures en adorable compagnie.
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Ceci n’est pas seulement une anecdote mais c’est pour moi un artcle complet – plein de vie et couleurs comme un bon reportage. J’aime bien ton style de description et d’analyse les situations une par une, et avec des points de vue personnel et humanitaire. Oui, Kook a un regard et un air triste et desesperee a cause de son destin mais elle possede une beaute et une charme d’une innocente femme (comme beaucoup d’autres qui ont une vie telle que la sienne). J’espere qu’elle pouvait comprendre enfin la raison pour ton depart. …. 🙁
Mais de toute facon, c’est un excellent article qui nous mene hors des routes de tourisme et touristiques. Merci pour ce beau reportage et les superbes photos, comme toujours.
Merci Or pour ton retour, et de faire l’effort d’écrire (très bien) en Français, je suis content que mon article soit compris dans ce sens là! Amitiés.
merci steph, superbe…
Merci à toi, Gilles 😉
Bernard a beaucoup aimé ton article et tes photos. Tu vis des trucs étranges, c’est super, bonne route à toi.
Excellent article. Le ressenti de cette situation ou il est difficile de communiquer, je l ai vécu a quelques reprises ici et la dans mes voyages.
Merci Stéphane pour ce site net magnifique. Tu es un excellent photographe, et de surcroit un excellent auteur. Bravo!
Merci beaucoup Maylee pour ton retour !! Bonne journée.
A toi aussi… Je me délecte de tes articles depuis 2h 🙂 Impossible à quitter… Continue à nous apporter un peu de magie avec un regard critique mais un coeur profondément humaniste. Merci !
Très bel article, touchant de vérité et plein d’humanité.